“Unité et non-violence”

Salam Fayyad, Premier ministre palestinien, craint que l’Autorité palestinienne ne devienne rapidement une coquille vide, par manque de fonds

Si les réconciliations entre Fatah et Hamas sont dans l’air du temps et que des tentatives d’union sont en cours, Salam Fayyad n’a toujours pas trouvé grâce aux yeux du Mouvement de résistance islamique, qui exige toujours son départ. Mais aux yeux des Occidentaux, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne est crédité d’avoir redynamisé le gouvernement de Mahmoud Abbas et beaucoup le voient déjà à la gestion des finances palestiniennes. Celui qui s’était opposé à la demande de reconnaissance palestinienne à l’ONU a accepté de débattre des questions d’actualités, dans son bureau de Ramallah. Entretien

Y aura-t-il un gouvernement d’union nationale entre Fatah et Hamas ?

Eh bien je l’espère, et le plus tôt sera le mieux. Car enfin, nous autres Palestiniens pourrons avoir un gouvernement capable de gérer les affaires palestiniennes à la fois en Cisjordanie et à . Personnellement, je pense que c’est un premier pas essentiel pour rétablir l’unité nationale. J’ai toujours maintenu que l’Etat de que nous recherchons ne peut être, et ne sera pas, sans une réunification du pays. Et l’instrument clé pour cela, c’est d’avoir un seul gouvernement. Nous ne pouvons tout simplement pas poursuivre la voie dans laquelle nous sommes engagés depuis quatre ans : séparés, avec des gouvernements distincts, incapables de nous rencontrer physiquement, et nous déchargeant de nos nombreuses responsabilités sur notre propre peuple. Cela ne peut pas continuer. C’est anormal. Nous devons mettre fin à ce mode de fonctionnement.

Pensez-vous que vous pourrez rester Premier ministre s’il y a un gouvernement d’unité nationale ?

Vous savez bien, au vu de ce qui a transpiré des derniers contacts entre les deux factions Fatah et Hamas, que mon avenir à ce poste dans le prochain gouvernement est un aspect central des discussions. Ce n’est un secret pour personne. Mais j’ai toujours considéré que cela ne devait pas être un problème. En ce qui me concerne, je n’accepte pas, je n’accepterai pas, et je ne peux accepter l’idée même d’être perçu comme un obstacle dans le processus qui doit nous mener à la réunification du pays. Tout récemment, juste avant la dernière série de discussions à ce sujet au Caire, et bien avant déjà, j’ai appelé les parties à s’entendre sur un choix consensuel de Premier ministre, précisant que les déclarations et spéculations qui me présentent comme l’entrave majeure étaient complètement déplacées. Il y a beaucoup de gens ici capables d’assumer ce poste et il suffit de trouver un accord. Dès lors nous pourrons aller de l’avant.

Mais les rumeurs courent que vous pourriez vous présenter à la présidence...
Je n’ai aucun projet politique au-delà de mon travail actuel. Cela a été le cas tout au long de ma carrière, soit plus de 40 ans. Ce n’est donc pas une surprise. Ce sur quoi je me concentre entièrement est ma capacité à continuer à naviguer dans ces eaux houleuses, de construire sur les progrès déjà réalisés dans différents domaines gouvernementaux en termes d’approfondissement de notre préparation à la création d’un Etat complet, de continuer à développer notre activité diplomatique au niveau international. Ce sont des défis très importants, donc, non je ne pense pas et je ne penserai pas à quoi que ce soit d’autre que ce que je fais.
Votre présence a permis aux gouvernements occidentaux de fournir de l’aide à l’Autorité palestinienne. Imaginons un moment que vous quittiez votre poste de Premier ministre. Une part considérable de cette aide internationale ne serait-elle pas menacée ?

J’espère que non... Je suis personnellement flatté par ces considérations, mais en même temps je crois que cette aide est pour une large part le reflet des progrès que nous avons pu réaliser en institutionnalisant des processus de gouvernance dignes de ce nom. Notamment en ce qui concerne la gestion des finances. Si les donneurs ont confiance, ce n’est pas tant, je crois, en la capacité de X, Y ou Z à être aux manettes. C’est en la maturité des processus gouvernementaux dans des domaines clés comme les finances publiques. Voilà pourquoi j’espère qu’il n’y aura pas de gel.

Comment voyez-vous votre contribution ? Certainement dans cette institutionnalisation.
Essentiellement, nous avons converti les énergies qui existaient aux niveaux individuel et collectif en un grand effort national qui est seul capable d’illustrer le vrai, réel et véritable niveau de préparation de la à l’Etat qu’elle aura. C’était mon objectif depuis le début, la mesure de tout ce que nous faisons et ferons. C’est vraiment le plus important. Donc si je devais résumer ma contribution, ce serait un progrès vers cet objectif d’institutionnalisation des processus gouvernementaux. Et c’est, je crois, ce qui compte.
Monsieur le Premier ministre, mis à part votre rôle dans le prochain gouvernement, une large majorité au Congrès américain a fait savoir que les Etats-Unis ne financeront pas un gouvernement palestinien qui inclurait le Hamas puisqu’il figure sur la liste des organisations terroristes. A quel point cette clause est-elle inviolable selon vous ?

Quand nous parlons d’un gouvernement d’union nationale, je rappelle entre autres que, petit un, il est important d’en avoir un et que, petit deux, il faut discuter du futur aspect de ce gouvernement : sa composition, son programme, son rôle. Je ne pense pas que nos amis du Congrès soient en désaccord avec moi sur ce besoin de gouvernement d’union nationale. Personne ne le peut : c’est, pour moi, une question de logique primaire si l’on veut réunifier le pays. Sur la base de cette même logique, je ne vois pas de difficulté et arrive à la conclusion, qui, je pense, ne peut être qu’une conclusion universelle : l’unité de la passe par . Nous autres Palestiniens, ne pouvons avoir d’Etat sans . Et dans la mesure où une solution à deux Etats n’est pas seulement dans l’intérêt des Palestiniens, mais dans l’intérêt régional et international, il ne peut y avoir qu’une convergence des opinions à ce sujet. Cela dit, je pense qu’il dépend de nous autres, Palestiniens, d’essayer de gérer nos affaires internes d’une façon qui n’interfère pas avec notre capacité à influer sur la communauté internationale. Notamment sur les Etats- Unis, et tout particulièrement sur le Congrès américain.

Pensez-vous que le fondamentalisme au sein du Hamas le permette ?

 Je crois personnellement en l’immense pouvoir de la non-violence. Et cette approche, cette doctrine, est plus largement partagée aujourd’hui en qu’à aucun moment. Je pense que nous devons profiter de l’occasion et formaliser cette position. Je dis donc que si vous avez l’opportunité d’établir un gouvernement d’unité, dont une des tâches clés consiste à superviser l’application de cette doctrine, n’est-ce pas un progrès majeur, une amélioration par rapport au statu quo ou au statu quo ante ? Ma réponse est “si”. C’est une amélioration majeure comparé à ce que nous avons. Si nous ignorons le reste, ce gouvernement sera-t-il idéal ? Je dirais “non”. Mais il n’y a pas de gouvernement idéal au monde à ce point de vue. Autrement dit, nous améliorer par rapport au statu quo doit rester notre étalon de référence. Etre capable de mettre en place la non-violence à travers le territoire palestinien occupé serait une avancée majeure. Formaliser cela devrait être un élément clé du programme du gouvernement.

Mais que se passera-t-il si vous ne parvenez pas à convaincre le Hamas d’abandonner la violence ?

Je viens de vous dire ce que je croyais être un élément essentiel pour un programme de gouvernement, en termes de missions et de responsabilités. S’il n’y a pas d’accord là-dessus, si cette doctrine de non-violence ne figure pas au programme, alors je le répète, ce sera un signe que trop d’éléments nous séparent encore.

Le Hezbollah est également considéré comme une organisation terroriste, et contrôle 21 des 30 ministères au sein du gouvernement libanais, mais l’aide américaine parvient toujours. Les deux situations sont-elles comparables ? Est-ce une raison de penser que l’aide financière occidentale continuera à parvenir malgré les menaces ?

C’est bien au-delà de mon niveau que de m’engager dans de telles comparaisons. Je me contente du possible, du raisonnable, du faisable dans notre je viens de vous décrire notre point de vue. Ce que je crois être essentiel pour atteindre nos objectifs. Quel est notre objectif fondamental ? Avoir notre propre Etat. Qu’est-ce que cela signifie et qu’est-ce que cela requiert ? Cela requiert un monopole de l’Etat et de ses différentes administrations sur les questions de sécurité. Nous devons avoir des services de sécurités fonctionnels.

En parlant de responsabilités, vous avez vous-même critiqué les gouvernements arabes pour leur incapacité à matérialiser leur soutien à l’Autorité palestinienne. Si les Etats-Unis et des Etats européens suspendent leur aide, croyez-vous que des gouvernements arabes pourront prendre le relai ?

Nous avons des problèmes en termes de flux d’aide. Il y a eu des interruptions et au total nous avons reçu moins que prévu pour l’année fiscale 2011. Ce qui a causé une crise financière qui nous a empêché, une fois ou deux, de payer les salaires. Et cela sans parler de faire face à nos obligations envers le secteur privé, les vendeurs, les fournisseurs. C’est un grand problème pour nous. La question n’est pas tant de trouver de nouvelles sources de financement pour compenser les difficultés que présentent les sources traditionnelles. Je pense qu’il faut multiplier nos efforts pour parvenir à l’autosuffisance en réduisant de façon substantielle notre dépendance à l’aide internationale. Nous devons trouver un moyen de réduire considérablement le déficit en 2012 au-delà du niveau prévu à l’origine. Et nous allons y parvenir. J’espère que c’est la dernière année où nous aurons besoin d’une aide financière extérieure pour couvrir les dépenses courantes. Ce serait un grand succès et un nouveau signe de notre capacité à nous gouverner, du niveau de maturité que nous avons atteint.

Que répondez-vous à ceux qui avertissent qu’à cause de la situation politique tout peut s’effondrer au niveau fiscal ? Fiscalement, tout menace déjà de s’effondrer.
Notamment du fait des suspensions, en novembre, des transferts de revenus fiscaux que le gouvernement d’Israël collecte au nom de l’Autorité palestinienne.

Quel est le pire scénario que vous puissiez imaginer ?

Je suis réaliste. Vous savez, en théorie certains pourraient dire que nous devrions nous tourner vers des tiers pour compléter le budget. Mais sérieusement, de quoi parlonsnous ? Les transferts de revenus du gouvernement israélien représentent environ les deux-tiers de nos revenus totaux. Entre 100 et 110 millions de dollars par mois. Soit pour 2011 près d’un milliard de dollars. Nous priver de 100 millions par mois double, en fin de compte, nos besoins. Et si nous ne pouvons nous en sortir avec des aides extérieures équivalentes à 1 milliard de dollars, comment le pourrait-on si le déficit atteint les 2 milliards de dollars ? Il est donc hautement irréaliste de penser que l’on peut compenser les suspensions israéliennes par une aide extérieure. En principe, en théorie, c’est possible. Mais dans la réalité, où trouver l’argent ? L’état des finances palestiniennes est quelque chose avec lequel je suis familier depuis longtemps, depuis la création de l’Autorité palestinienne, et avant même que je commence à y travailler en 2002. Je peux donc vous affirmer que nous avons frôlé la catastrophe. Le seul moyen de l’éviter, à l’avenir, c’est que le gouvernement d’Israël respecte nos accords en matière financière. Sinon, cela jettera un sérieux doute sur la capacité du processus de paix à résoudre des problèmes autrement plus difficiles entre nous et les Israéliens.