Yotvata, du lait au milieu du désert

« Osez, persistez, réussissez », avait déclaré David Ben Gourion lors de l’inauguration du kibboutz. Les pionniers ont appliqué le message à la lettre

Vaches laitières à Yotvata (photo credit: Nicole Perez)
Vaches laitières à Yotvata
(photo credit: Nicole Perez)
Le kibboutz Yotvata, situé à 40 km au nord d’Eilat, a été fondé en 1957 par une vingtaine de jeunes gens ayant terminé leur service militaire dans le Na’hal (unité pionnière combattante). Le climat y semble hostile à l’agriculture avec moins de 10 jours de pluie par an, des températures supérieures à 30° et des pics de chaleur supérieurs à 40° plus de 7 mois par an. Le kibboutz, resté communautaire, est devenu un important centre local d’activités administratives, scolaires, culturelles et sportives.
Un pionnier écologique
Au départ, ses fondateurs ont tenté courageusement d’explorer plusieurs pistes sans beaucoup de succès, à l’exception des datteraies. Les premiers palmiers dattiers ont été importés secrètement d’Irak en 1955. La plantation a rapidement atteint plus de 4 000 arbres qui fournissent annuellement plus de 400 tonnes de dattes (Medjoul, Nour et Bahri). Le kibboutz a mis au point une méthode totalement automatisée d’élimination des branches inutiles : les tailler à l’aide d’un râteau particulier, pour en faire des tas avant de les broyer, puis en faire des cubes de bois pressé. Quand les arbres atteignent 17 mètres, il faut les déraciner car ils dépassent la hauteur des grues de cueillette des fruits.
Hormis la laiterie, les activités agricoles du kibboutz sont, par ordre décroissant : dattes, oignons (les champs dégagent une odeur caractéristique), mangues (climat propice), pommes de terre ou foin pour son bétail. L’exploitation est située au sud du 30° parallèle, c’est-à-dire en dehors de la zone d’application des lois de la chmita, les produits peuvent donc être commercialisés cette année dans le circuit ultraorthodoxe.
Dans les années 1960, a été créé un centre expérimental pour la recherche de procédés novateurs en matière de fruits et légumes (plus beaux, à usage médical…), d’optimisation des rendements ou encore de minimisation de consommation d’eau. Cette structure participe à l’aura de la région.
L’agriculture nécessite beaucoup d’eau. Malgré l’aridité, Yotvata dispose d’importantes réserves dans ses puits naturels ; elles sont gérées et distribuées par la Compagnie israélienne de l’eau (Mekorot). Il utilise également des eaux recyclées. Les moins potables sont affectées sans risque aux palmiers. Yotvata est désigné dans la Bible comme la 29e des 40 étapes de la traversée du désert par les Hébreux sortis d’Egypte (Nombre XXXIII, 34) et c’est « une contrée abondante en cours d’eau » (Deutéronome X, 7) !
Pionnier dans l’utilisation de l’énergie solaire, le kibboutz est devenu, il y a trois ans, par décision gouvernementale le Centre national technologique des énergies renouvelables.
Le lait à Yotvata : une prouesse mondiale
Les kibboutznikim ont poursuivi leur idée un peu folle d’élever des vaches en plein désert faisant ainsi pouffer de rire les responsables de l’Agence Juive de l’époque… Cinq ans après la fondation du kibboutz, l’activité laitière démarre timidement pour les besoins locaux avec des vaches hollandaises aux excellents rendements. Dès 1979, les produits sont distribués dans tout le pays.
Actuellement, l’alimentation des bêtes provient principalement de cultures fourragères locales et ne contient aucun additif animal. Les vaches sont inséminées artificiellement et chacune dispose d’une puce informatique qui regroupe toutes les informations la concernant. Lors de la traite, celles-ci entrent et sortent seules à tour de rôle dans un impressionnant « manège » à 48 places. On y trait ainsi 650 vaches en moins de deux heures et demie. Le lait est directement envoyé dans un circuit de pasteurisation, puis il s’écoule dans des cuves avant embouteillage. Depuis peu, Yotvata fabrique ses propres bouteilles en plastique afin d’en réduire les coûts d’achat, d’acheminement et de stockage.
Cette grosse exploitation emploie près de 140 salariés, élève 1 000 vaches dont 650 produisent du lait. Chaque vache laitière fournit de 10 à 30 litres de lait à chaque traite à raison de trois traites quotidiennes – ce qui est une spécificité israélienne destinée à augmenter les rendements, en Europe on trait les vaches deux fois par jour.
En 2014, la laiterie atteint une production de près de 10 millions de litres par an (sans compter les productions des kibboutzim voisins Yahel, Lotan et Ketura, gérées par Yotvata). Un des meilleurs rendements par animal au niveau mondial. Yotvata fait partie des 1 000 exploitations laitières du pays, dont 160 en kibboutz.
Le lait simple reste marginal dans la production ; les laits aromatisés, produits à forte valeur ajoutée sont privilégiés. Le produit phare reste, depuis près d’un demi-siècle, le fameux berlingot de lait aromatisé au goût si recherché par les enfants, mais également les adultes. Seulement deux personnes en connaissent la composition, gardée secrète.
Yotvata lance en 1965 le lait au goût moka, puis, deux ans plus tard, aromatisé au chocolat. En 1995, il lance un produit simple équivalent, mais au café. En 2011 une gamme complète au café est créée avec des produits plus sophistiqués (Latte plus doux, Macchiato plus corsé et Cappuccino avec du chocolat).
Le kibboutz est donc aujourd’hui centré sur cette industrie vieille de plus d’un demi-siècle, dont il a notablement étendu la gamme. La laiterie représente plus de la moitié du chiffre d’affaires.
Strauss et Yotvata : une alliance réussie
Le consortium Strauss est présent sur 11 segments d’activités dont surtout les produits laitiers avec 14 000 employés dans 22 pays et plus de 8 milliards de shekels de chiffre d’affaires, dont près de la moitié en Israël. En 1997, il acquiert 51 % des activités laitières de Yotvata (préféré à Tnouva), ce qui en permet un développement accéléré et laisse au kibboutz une grande marge de manœuvre pour conduire ses affaires, tant que celles-ci restent assez rentables. Le seul impact de cette prise de contrôle aura été l’abandon de sa gamme de produits fromagers initiée dans les années 1980-1990 du fait d’une profitabilité insuffisante. A l’opposé, l’effort d’innovation a pu être accru, notamment en matière de diversification, de techniques de production ou encore de pasteurisation, pour satisfaire les besoins d’une clientèle de tous âges (goûts, apports divers des boissons, packaging…), et réduire les coûts et les cycles de production.
Le logo créé en 1998 et le marketing de Strauss insistent sur la qualité des produits à l’image de la qualité de vie locale : « En visitant Yotvata ou en goûtant ses produits, l’on peut retrouver la qualité de son air, sa tranquillité, ses paysages à couper le souffle et les vastes espaces ouverts qui l’entourent. »
L’élevage bovin renvoie à l’image d’Epinal de vaches qui broutent tranquillement en regardant passer les trains. Image improbable en Israël ? Pas vraiment : la ferme laitière est déjà bien implantée, le tracé de la future ligne de chemin de fer qui desservira Eilat traverse Yotvata !
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