Le combat d’une vie

Le 16 septembre dernier, Lee Zeitouni est morte, percutée de plein fouet par un 4x4 incontrôlé. Son compagnon, Roï Peled, se bat pour que ses assassins soient jugés en Israël

Zeitouni (photo credit: Daniel Cohen)
Zeitouni
(photo credit: Daniel Cohen)

Roi Peled est un jeune homme sympathique et sûr de lui. Legenre d’Israélien au caractère affirmé, sans doute dû à un passage intensifdans les rangs de l’armée et une jeunesse nature sur les hauteurs du Golan. Leregard franc, direct, l’oeil qui frise et le sourire au coin des lèvres.Extérieurement, rien ne peut laisser soupçonner le combat de titan dans lequelil s’est engagé. Et pourtant, depuis quatre mois, le compagnon de la tristementcélèbre Lee Zeitouni s’est donné une mission. Faire juger en Israël les deuxhommes à l’origine de la mort de dont il partageait la vie depuis plusieurs mois.

Rappel des faits. Le 16 septembre dernier, à 6h45 du matin, un 4x4 BMW percute lajeune professeure de Pilates de 25 ans, à l’angle des rues Pinkas et Weizmann. A bord du véhicule : Claude Khayat, 32 ans, et Eric Rubic, 38 ans, deux hommeséméchés, au terme d’une nuit de débauche dans une boîte de strip-tease. A lafermeture de l’établissement, ils avaient insisté auprès du patron pour obtenirune séance “privée”. Drogue et alcool dans le sang, ils prennent ensuite levolant. Et leur route va croiser de Lee Zeitouni.
Juste avant le drame, des témoins avaient signalé aux services de police uneJeep noire lancée à toute allure dans les rues de la Ville blanche. Unepatrouille était à sa recherche. En vain. Le véhicule ne sera retrouvé que lesoir du drame par des amis de Roï, qui doit rentrer le lendemain d’undéplacement à l’étranger. Quand le fiancé de Lee pose le pied en Israël, lesdeux chauffards ont plié bagages depuis longtemps.
Et c’est précisément ce qui ulcère Roï Peled. Le manque de responsabilité desdeux Français, qui, au lieu de tenter de porter secours à la jeune fille, n’onteu qu’un seul réflexe, prendre la fuite. Et s’engouffrer dans le premier avion,l’un pour ,l’autre pour Genève.

Plus dangereux que prévu

Une fois en France, par la voix de leurs avocats, dontl’un avait défendu l’assassin d’Ilan Halimi, Khayat et Rubic ont clairementfait savoir qu’ils ne voulaient pas se remettre aux mains de la justiceisraélienne. Soi-disant, par peur d’un jugement biaisé qui pourrait se nourrird’un fort ressentiment anti-français et donner lieu à une condamnation exemplaire.

Les deux suspects se déclarent prêts à être jugés. Mais dans leur paysd’origine uniquement. Hors de question pour Peled. “Soyez des hommes”,lance-t-il à leur intention, “et comportez-vous comme tels”.
Le compagnon de Lee est bien décidé à obtenir gain de cause : parvenir à unprocès sur les lieux du drame. “C’est une affaire israélienne”, explique-t-il,“Lee était israélienne, l’accident s’est produit en Israël, les deux suspectsvivaient en Israël, le jugement doit se dérouler ici”. Car si Français denationalité, les chauffards vivaient bien en Terre promise depuis 8 ans. Rubicétait installé dans une tour de luxe d’un quartier huppé de Tel-Aviv. Marié àune Israélienne, il était propriétaire de son appartement, de la jeepmeurtrière, ses enfants étaient scolarisés dans la ville.
Khayat, lui, était domicilié à Netanya. Selon le magazine Ouvda d’Ilana Dayan,diffusé le 16 janvier dernier, il serait proche des milieux mafieux et “enaffaire” avec un des chefs de la pègre locale, Charlie Aboutboul. A son actif :vente de publicité dans des journaux fictifs, abus de confiance envers desparticuliers pour soutirer leurs numéros de carte bleue. Le documentaire évoquemême des liens avec la Serbie. En clair, deux chauffards qui se sont révélésbien plus dangereux que prévu.
Certains évoquent un arrangement entre les deux malfrats. Khayat aurait déclaréêtre au volant de la voiture, à la place de Rubic. En échange, Rubic lui auraitracheté sa dette envers le parrain Aboutboul.
“Peu importe qui conduisait”, tonne Peled, “ils étaient deux dans la voiture etdeux à prendre la fuite”.
Israélien et fier de l’être

Dans un café branché de Tel-Aviv, deux jours aprèsla diffusion du reportage Ouvda qui a donné un nouveau tour à l’affaire, RoïPeled doit faire face à une notoriété aussi soudaine qu’inattendue. “KolHakavod Akhi” (bravo mon frère), “c’est super ce que tu fais”. Lesencouragements et les félicitations fusent. Il faut dire que le documentaire,suivi par plus d’1 million de téléspectateurs et 250 000 Internautes a battudes records d’audience.

Quatre mois après les faits, l’affaire Zeitouni est devenue un véritablephénomène de société. Et Peled, l’emblème du citoyen qui refuse de céder. Carpour l’heure, son combat semble bien être celui de David contre Goliath. La n’extrade pas. Et Khayat et Rubic s’obstinent à être jugés en . Deuxvoies sans issue. Pour l’instant du moins. Car Peled est bien décidé à fairechanger les choses.
En fin stratège, il a monté son QG de campagne. Un noyau de 10 personnes, quilui étaient inconnues jusquelà pour la plupart, et quelque cent bénévoles,présents aux manifestations par exemple. A raison de deux soirs par semaine enmoyenne, le comité restreint se réunit et décide de la à suivre.
Parmi eux, Hava Amsellem, une jeune Française d’origine, installée depuis 14ans en Israël. “Cela ne devrait pas être aux délinquants de choisir leur lieude jugement”, déclare-t-elle. “Nous n’envisageons pas de cesser le combat.Chaque jour, nous pensons à ‘comment’.”
Hava, qui s’occupe des relations avec la presse française, loue la vivacitéd’esprit de celui qui s’est tout naturellement imposé comme un leader.Difficile de ne pas être admiratif devant la force de caractère qui émane dePeled. A 28 ans à peine, il affiche une détermination et une lucidité impressionnantesen de pareilles circonstances.
“Certains ont dit que j’étais mû par la vengeance, mais c’est loin d’être lecas. Je que Lee et morte et qu’elle ne reviendra pas. Ce que je fais, je ne le fais paspour elle, mais pour améliorer ce qui ne va pas en Israël. La loi est absurdeet il faut changer cela.”
Comme un service de plus rendu à sa patrie. L’initiative pourrait prêter àsourire, mais dans la bouche de celui qui a consacré “plusieurs années de savie” à l’armée, elle prend tout son sens. Et on se plaît à croire qu’il existeencore de vrais idéalistes, prêts à se battre jusqu’au bout pour leurs idées.Roï Peled aime son pays. Pour preuve, la Maguen David qu’il s’est fait tatouerau niveau de la cheville. “Je suis fier d’être un citoyen israélien”, avancet-il, “et je suis toujours heureux quand on m’appelle pour effectuer mes Milouim(périodes de réserve). Bien sûr, je ne vais pas à la synagogue tous les jours,mais je suis fier d’appartenir au peuple juif et à son histoire.”
La mission d’une vie

“Peu de gens ont, une fois dans leur vie, l’opportunité dese rendre utile, de faire passer un message. Et c’est mon opportunité à moi qued’essayer de faire changer quelque chose”, affirme-t-il. Mais changer quoiexactement ? Cet accord d’extradition, à sens unique, rétorque-t-il. Car siIsraël extrade ses citoyens, la s’y refuse. Peled aimerait que le Parlement israélien sollicite auprès de Parisune demande d’extradition à l’encontre des deux suspects. “Si c’était le filsde Netanyahou qui avait été tué, cela aurait été fait depuis longtemps”,affirme-t-il.

Depuis quelque temps, Roï a démissionné de ses activités de responsableéducatif auprès de jeunes en difficulté pour se consacrer à l’association qu’ilvient de monter avec son comité de soutien : Tzedek Bichvil Lee, justice pourLee, en référence au slogan du mouvement social de l’été dernier, TzedekHevrati. “Mais je ne veux pas finir comme le mouvement des tentes”,déclare-t-il, “c’était un formidable élan, qui s’est évaporé dans le vent”.
Il vit sur le dos de ses économies et grâce à l’aide de ses parents et ceux deLee. Et s’apprête à rendre l’appartement où il venait d’emménager avec Lee,juste avant sa disparition. Plus les moyens de payer le loyer.
Chaque action de l’association est financée par ses fonds propres et ceux desmembres de son QG. En 4 mois et demi, plus de 70 000 shekels ont été engloutisen teeshirts, tracts, autocollants. Roï et son comité se mobilisent à chaque visitede personnalités françaises en Israël. Delanoë ou Bruel. Attirer l’attention. Ne pas se faire oublier.
Il gère sa campagne comme un stratège en communication expérimenté. Et souritquand on lui en fait la remarque. Discret sur son passé, Roï se contente dedire qu’il a déjà effectué bon nombre de missions d’infiltrations dans lesrangs de l’armée. Il avait fait ses classes avec le frère aîné de Lee, àl’origine de leur rencontre. “Tout est pensé, réfléchi”, confirme Hava Amsellem: “Roï sait exactement où il va et ce qu’il veut obtenir”.
Faire réagir la France

Aujourd’hui, l’objectif de l’association est clair :réveiller la communauté francophone. Peled, déplore le manque d’engagement decette dernière dans l’affaire Zeitouni, par rapport aux anglo-saxons ou auxhispanisants. “Pourtant, la communauté française est l’une des plus puissantes du monde”,affirme le jeune homme, d’origine tunisienne, dont une partie de la famillepaternelle est installée en .

La diffusion du reportage Ouvda avait fait grincer quelques dents. Certainsreprochent à Peled de jeter le discrédit sur les Juifs de l’Hexagone. Mais lecompagnon de Lee s’emploie pourtant à éviter tout amalgame.
Son but : mener une vie d’enfer aux deux chauffards, décréter à leur encontre unesorte de Herem, une mise au ban, “qu’ils soient chassés des établissementspublics, honteux de sortir dans la rue”. Faire placarder leur portrait sur lescolonnes Morris de Paris, ou afficher des autocollants un peu partout sur unpérimètre d’une centaine de mètres autour de leur domicile, de leur bureau.Sans haine, ni colère, mais juste pour se faire entendre.
“Je ne veux pas qu’ils soient jugés en ”, tonne Peled, “ils vontécoper de 4 ans de prison et sortir au bout de 2 ans, suite à une remise depeine pour bonne conduite. Et ensuite, tout sera fini.”
Roï regrette l’attitude frileuse des associations juives françaises quil’encouragent à demander le jugement des deux suspects en . “Onveut enterrer l’histoire, car c’est un combat interne, Juifs contre Juifs, etcela fait une mauvaise publicité pour la communauté”, déclare Roï. “Je me suistourné vers le Grand Rabbin de France, pour qu’il formule une condamnationofficielle de Khayat et de Rubic, mais il m’a fait savoir que s’il comprenaitma douleur, il ne souhaitait pas s’impliquer dans cette affaire.”
Un mot de Sarkozy

D’autres personnalités de premier plan de la communauté onttoutefois décidé de lui apporter leur soutien. Comme le philanthrope Dominique Romano ou le leader associatif Gilles Taïeb, encampagne à la députation pour la 8e circonscription des Français de l’étranger.Ce dernier est aujourd’hui le porte-parole du comité de soutien Lee Zeitouni en.

Avec son aide, un grand meeting s’organise, à , le 6 février prochain. En présence dupère de Lee, Itzik Zeitouni, de Roï Peled et de l’avocat Gilles-WilliamGoldnedel - qui a accepté de représenter la famille de Lee, gracieusement, enFrance - un rassemblement public est prévu au centre Rachi. Un “rendez-vousd’information et de vérité sur l’affaire Lee Zeitouni”, selon l’association.
Au programme : la diffusion du magazine télévisé Ouvda, sous-titré en français.“C’est Gilles Taïeb qui nous a trouvé la salle”, se félicite Hava Amsellem.Près de 350 personnes sont attendues. “Nous voulons que tout le monde connaissel’histoire”, poursuit-elle, “surtout en ”.
Pour s’agit de toucher à la fois les Juifs etles non-Juifs. Les mobiliser pour qu’ils fassent pression sur l’Etat françaisen vue d’une extradition des deux suspects.
L’enjeu est de taille. La mission est-elle réaliste ? “Je ne suis passuicidaire, et je que cela peut prendre des années. Mais tant qu’ils ne seront pas jugés enIsraël, je suis obligé de continuer”, explique Peled.
Aucune autre alternative ? “Si jamais je suis invité au dîner du Crif et queNicolas Sarkozy me dit : ‘arrêtez de faire du bruit, je vais personnellementveiller à ce qu’ils écopent de la peine maximale’, alors peut-être que celapourra me faire réfléchir.”
Site Internet : justicepourlee.blogzoom.fr Pour soutenir l’association : www.facebook.com/justiceforlee