Le mouvement Black Lives Matter, soutien de la cause palestienne

La coopération entre les polices israélienne et américaine est dans le viseur des militants de la cause noire aux Etats-Unis

Militants de BLM à Bilin, village palestinien de la région de Ramallah (photo credit: FACEBOOK/BLACK LIVES MATTER)
Militants de BLM à Bilin, village palestinien de la région de Ramallah
(photo credit: FACEBOOK/BLACK LIVES MATTER)
Ils étaient en Israël le mois dernier. Objectif de leur visite, apprendre les méthodes locales de lutte antiterroriste. A la tête de cette délégation américaine, le chef de la police d’Orlando, John Mina. En juin dernier, il avait fait les gros titres à la suite de l’attentat du Pulse revendiqué par Daesh, quand Omar Mateen avait ouvert le feu dans cette boîte de nuit fréquentée par la communauté homosexuelle, tuant 49 personnes. Lorsque je demande à Mina s’il a entendu parler des accusations que porte la communauté afro-américaine sur la coopération entre les forces de l’ordre d’Israël et des Etats-Unis, il s’esclaffe : « Si vous n’étiez pas journaliste, j’aurais juré que c’était une blague ! »
« Nous ne venons pas en Israël pour apprendre à tuer des Afro-Américains. Nous venons apprendre à lutter contre le terrorisme, à évacuer la population d’une scène d’attentat. Les Israéliens sont beaucoup plus efficaces que nous en la matière. Nous étudions leurs méthodes d’enquêtes également, car nous avons des façons très différentes de travailler. Nous sommes là pour améliorer notre capacité à lutter contre le terrorisme, certainement pas pour apprendre à tuer des gens », s’indigne-t-il.
Si j’ai posé cette question à John Mina, c’est que depuis peu, le conflit israélo-palestinien s’est invité dans la lutte qui oppose une partie de la communauté afro-américaine aux forces de police des Etats-Unis. Parmi les militants de la cause noire, certains entretiennent des liens inquiétants avec des organisations pro-palestiniennes.
BLM adopte les thèses du BDS
Le mouvement Black Lives Matter prend forme en 2013, au moment de la relaxe de George Zimmerman. Quelques mois plus tôt, ce volontaire effectuant des surveillances de voisinage dans son quartier avait abattu le jeune Trayvon Martin, croyant voir un dangereux délinquant sous les traits d’un adolescent à capuche de 17 ans, non armé. Indignés par le verdict, trois activistes lancent sur les réseaux sociaux le hashtag Black Lives Matter (les vies noires comptent) pour témoigner du sentiment d’impuissance de la communauté afro-américaine. Depuis, le mouvement descend dans la rue à chaque fois qu’un Afro-Américain est tué par la police – Eric Garner à New York, Freddie Gray à Baltimore, Mickael Brown à Ferguson… – dans le but de réveiller les consciences et de remettre les questions raciales au centre du débat.
Au début, la communauté juive a apporté un soutien sans faille au mouvement. Pourtant récemment, son enthousiasme a pris du plomb dans l’aile ; l’organisation a en effet forgé des liens profonds avec des groupes pro-palestiniens. Parmi eux, les Etudiants pour la justice en Palestine, une association basée à New York qui fait campagne pour le BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) sur les campus américains et affirme sur sa page Facebook : « Les mêmes personnes qui sont derrière le génocide des Noirs aux Etats-Unis sont derrière le génocide des Palestiniens. » Avant de préciser : « Si Israël ne tue pas lui-même des Afro-Américains, il forme les polices des Etats de New York et autres à oppresser et assassiner les Noirs. »
Une thèse que Black Lives Matter a vraisemblablement adoptée. Le mouvement affirme que la collaboration sécuritaire entre les Etats-Unis et Israël a un impact négatif pour la communauté noire américaine. Et d’expliquer que les policiers américains viennent apprendre dans l’Etat juif comment tuer des Afro-américains. BLM a même fait circuler une pétition appelant à ce que cesse la coopération entre les polices des deux pays. « Quand nos forces de l’ordre sont entraînées par des gens brutaux, ils agissent brutalement », dit le texte, qui n’a recueilli que 100 000 signatures.
Il n’empêche que la question a pris d’importantes proportions. Récemment, un commentateur politique de la chaîne de télévision CNN, Marc Lamont Hill, a lui aussi comparé les méthodes de la police américaine à celles employées par Israël envers les Palestiniens. Et une délégation de Black Lives Matter a visité le village palestinien de Bilin, accusant publiquement l’Etat juif d’être une « puissance occupante et un Etat d’apartheid ».
BLM ne se contente pas de déclarations. Le mouvement a exhorté le maire d’Atlanta, Kasim Reed, à mettre un terme à la coopération entre la police de la ville et Israël. Lors d’une conférence de presse, ce dernier a cependant annoncé qu’il ne céderait pas à la pression. « La police israélienne est l’une des meilleures pour ce qui est du contre-terrorisme et nos services bénéficient grandement de son expérience », a-t-il insisté.
Le maire d’Atlanta a toutefois refusé d’être interviewé pour cet article. Il nous a renvoyés vers le département de la police municipale qui a lui aussi décliné notre invitation. Même le mouvement Black Lives Matter reste silencieux. Pourtant ces derniers mois, certaines de ses allégations ont été sans équivoque : « La brutalité policière dans les rues palestiniennes est la même que celle qui existe dans les rues de Ferguson dans le Missouri », a comparé l’organisation. Ferguson, cette ville où Michael Brown a été tué par un policier blanc il y a deux ans. L’affaire est devenue le symbole de la violence policière faite aux noirs.
La violence policière, en chiffres
En juillet dernier, les décès d’Alton Sterling, 37 ans, et Philando Castile, 32 ans, tous deux abattus par des policiers, ont relancé le débat. Une fois de plus, le sujet de la coopération policière entre Israël et les Etats-Unis était sur le devant de la scène médiatique. Alton Sterling vendait des CD sur le parking d’un centre commercial à Baton Rouge en Louisiane : les deux agents de police qui l’ont tué de plusieurs balles dans le dos et dans la poitrine pensaient qu’il menaçait des passants avec une arme. Philando Castile a été abattu le lendemain dans le Minnesota. Arrêté au volant de sa voiture, la victime aurait expliqué à l’officier de police avoir un permis de port d’armes et demandé la permission de le montrer, mais il a été abattu avant de pouvoir le faire.
Selon une enquête du Washington Post (juin 2015), le pourcentage de Noirs tués par armes à feu aux Etats-Unis est trois fois plus élevé que le pourcentage de Blancs ou de gens issus d’autres minorités. Selon le Guardian, il s’agit d’un rapport de cinq pour un, et 15 % des personnes tuées par armes à feu sont des hommes noirs âgés de 15 à 34 ans, bien que ce groupe particulier ne représente que 2 % de la population totale. Selon le site internet Mapping Police Violence, en 2015, les officiers de police américains ont tué 102 personnes désarmées. 37 % étaient des Afro-Américains.
Pourtant, la communauté noire ne représente que 13 % de la population des Etats-Unis. Une étude plus récente montre en revanche qu’une arrestation sur 291 se termine par une blessure ou une mort du suspect, et que les taux sont identiques pour toutes les origines ethniques. Mais les organisations noires nuancent les résultats de cette enquête, affirmant qu’elle ne prend pas en compte les différences de traitement selon les suspects, et arguant que beaucoup plus de Noirs sont arrêtés pour des petits délits, là où les Blancs ne le sont pas, mettant la vie des citoyens afro-américains plus souvent en danger.
Le site Internet Global Research met lui aussi en avant que les relations entre la police israélienne et les forces de l’ordre américaines favorisent la brutalité policière. A l’appui, la vidéo d’un officier de police du Texas en train de faire une prise de Krav Maga (technique d’autodéfense israélienne) à une adolescente afro-américaine.
Israël dans le viseur
Robert Friedman, ancien professeur à l’Ecole de travail social de l’université de Haïfa, connaît bien Atlanta pour avoir favorisé pendant longtemps les échanges entre son université et celle de Géorgie. De nombreux policiers ont suivi ses cours, et il est un des premiers à avoir œuvré pour le rapprochement entre les forces de l’ordre des deux pays. « Les programmes d’échanges entre nos forces de l’ordre ont commencé en 1990. La relation est si forte que la police d’Atlanta a construit son école en fonction de ce qu’elle a vu en Israël », confie-t-il. Répondant aux accusations de Black Lives Matter selon lesquelles les droits des Noirs sont bafoués en conséquence de cette coopération, Friedman réagit vertement : « C’est absolument ridicule. Ces attaques sont infondées. Un journal d’Atlanta a fait un classement des officiers de police de la ville, et les meilleurs ont tous été formés dans le cadre de notre programme. Pendant 25 ans, j’ai amené des policiers américains en Israël et ils n’y ont jamais appris à tuer. Il y a quelques semaines, le mouvement BLM a décidé d’enquêter sur les villes américaines qui possèdent un programme de coopération avec Israël et de vérifier la proportion d’Afro-Américains tués par la police dans ces cités. Mais cela n’a aucun sens. Il faut comprendre que BLM travaille main dans la main avec BDS et qu’ils ont désormais beaucoup de relais sur les campus universitaires. »
Le député (Yesh Atid) Mickey Levy, ancien chef de la police de Jérusalem et ancien attaché de la police israélienne à Washington, explique qu’il n’y a absolument aucun lien entre les méthodes de contre-terrorisme israéliennes et la gestion du crime traditionnel d’une grande ville. « En termes de criminalité, les Américains ont une plus grande expérience que nous, et nous n’avons rien à leur enseigner dans ce domaine. Quand les officiers de police américains viennent en Israël, c’est pour apprendre à gérer des situations particulières d’attaques terroristes, et en aucun cas à exercer une quelconque violence sur des citoyens. La lutte antiterroriste n’a rien à voir avec le travail d’un policier au quotidien. Je sais de quoi je parle. J’ai moi-même été commandant d’une unité antiterroriste. Les accusations de Black Lives Matter sont sans fondements. »
Yitzhak Dadon a lui aussi représenté la police israélienne aux Etats-Unis et ne comprend pas les accusations du mouvement américain. « C’est complètement ridicule. Non seulement nos pays n’ont pas le même fonctionnement ni les mêmes lois, mais nos modus operandi sont très différents », explique-t-il. « Les policiers israéliens ne tirent jamais sur des citoyens. Aux Etats-Unis en revanche, il y a un lourd passif de citoyens armés s’attaquant aux forces de l’ordre, et ces dernières ont pris l’habitude de riposter. Mais cela n’a rien à voir avec la coopération israélo-américaine. Celle-ci ne se concentre que sur le terrorisme. »
La collaboration entre les forces de police israélienne et américaine est devenue encore plus étroite il y a une quinzaine d’années, dans la foulée du 11 septembre 2001. Deux ans plus tard, le gouvernement américain a créé le Département de sécurité nationale, qui a rendu cette coopération officielle. En 2003, certains Etats américains ont commencé à signer des accords avec Israël au niveau sécuritaire, qui se sont encore renforcés en 2007. Ainsi la coopération existe dans les deux sens et des policiers israéliens ont déjà traversé l’Atlantique, régulièrement invités aux Etats-Unis à des conférences organisées par la police américaine. Parmi eux, David Tzur, ancien commandant d’une unité antiterroriste de Tel-Aviv. « Si nous arrêtons toute forme de coopération, nous faisons le jeu du BDS. Certains groupes s’activent depuis plusieurs années pour détruire notre relation. Mais honnêtement, lier la brutalité de la police américaine à Israël n’a aucun sens. Ceux qui prônent la fin de notre collaboration sur le plan policier appelleront bientôt à la fin de notre alliance militaire. Ils n’ont aucune limite. » 
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