Le renouveau de Hanoucca aux Etats-Unis

La fête des Lumières est une célébration particulièrement populaire dans la culture américaine. Comment en est-on arrivé là ?

Allumage de la cinquième bougie de Hannouca à la Maison Blanche (photo credit: REUTERS)
Allumage de la cinquième bougie de Hannouca à la Maison Blanche
(photo credit: REUTERS)

«Grand renouveau de la fête nationale juive de Hanoucca à l’Académie de musique de Philadelphie le 16 décembre 1879. » Cette annonce a été reprise par le professeur Jonathan Sarna dans son ouvrage American Judaism : A History afin de souligner le nouvel esprit du judaïsme insufflé aux Etats-Unis par le biais de Hanoucca. « Cette fête hivernale, qui commémore la victoire des Maccabées et la réinauguration du Temple, semblait proche de tomber dans l’oubli après la guerre de Sécession », écrit le Pr Sarna. « Les messages véhiculés par Hanoucca, ceux de l’anti-assimilation et du renouveau national, allaient à l’encontre de l’ethos universaliste des Réformistes, sans compter son statut relativement mineur au sein du calendrier juif. Tout cela fait que cette fête a été facilement négligée. »

La revitalisation de Hanoucca
C’est pourquoi, explique le professeur, le renouveau de Hanoucca a été tellement significatif. « Pour ceux qui cherchaient à revitaliser le judaïsme… les célébrations de Hanoucca complétées par des spectacles et une publicité à grande échelle, permettaient de contrer le faste grandissant de Noël. » Jonathan Sarna attribue l’émergence de ce nouvel esprit à un groupe appelé Keyam Dishmaya basé à Philadelphie. L’un de ses membres, Cyrus L. Sulzberger, a posé trois pierres angulaires à ce renouveau. « Il souhaitait approfondir les aspects religieux et spirituels de la vie des juifs américains, renforcer l’éducation juive, et promouvoir la restauration des juifs en tant que peuple – incluant leur ultime restauration sur la terre d’Israël. » Deux décennies avant Herzl, un groupe de jeunes juifs américains se faisait ainsi l’avocat de l’idéal sioniste. L’arrivée massive de juifs en Amérique à partir de 1881 empêchera toutefois ce retour en masse vers la patrie ancestrale.
Avant même le réveil de Philadelphie, un journal local de Savannah en Géorgie évoquait la fête en 1874 : « Hanoucca commémore la victoire des Maccabéns sur les Syriens. Avec fierté et gratitude, les champions juifs ont marché dans leur Temple qui avait été souillé », mentionnait-il. « Ils ont banni les prêtres païens qui avaient amené un culte idolâtre dans le lieu saint. Ils ont réinventé le service de Dieu », poursuivait l’article, avant de décrire comment Hanoucca était observé. « La fête commence demain. Les juifs des environs allumeront des bougies pendant huit jours. » Avant même la guerre de Sécession, Savannah, une petite localité des Etats-Unis, comptait deux synagogues, l’une orthodoxe et l’autre réformée.
Après 1881, les immigrés juifs sont arrivés en masse à New York, tandis qu’un nombre important était déjà installé en Californie depuis 1849 et le début de la ruée vers l’or. En 1878, 18 000 juifs vivaient déjà à San Francisco. Des synagogues de plus en plus imposantes se sont construites, et des juifs comme Levi Strauss participaient pleinement à la croissance économique du pays. L’écrasante majorité des juifs américains étaient réformés, mais observaient néanmoins Roch Hachana, Yom Kippour, Hanoucca et Pessah. En 1901, le journal Sacramento Union mentionnait : « Ce soir au coucher du soleil, les juifs de cette ville, comme leurs semblables à travers le monde, entameront les célébrations de Hanoucca ou fête de l’inauguration. » L’année suivante, le journal San Francisco Call évoquait lui aussi la fête juive et le détail de ses célébrations dans la ville.
Concurrencer Noël
Le rabbinat réformé a été parmi les premiers à reformuler le sens de Hanoucca, afin de lui donner une consonance plus proche de l’état d’esprit américain dominant, et doter la fête des Lumières de certaines caractéristiques du Noël sécularisé américain : on observait en effet chez les juifs du pays une volonté grandissante d’observer Hanoucca de façon plus attrayante en échangeant des cadeaux, et en insistant sur l’atmosphère festive dans les foyers, reposant sur la cérémonie traditionnelle de l’allumage des bougies.
Il y avait aussi une volonté claire de montrer que les juifs américains suivaient les traces des Maccabées dans leur lutte contre le Mal. Alors que le XXe siècle naissant connaissait toujours un afflux continu d’immigrants juifs au pays de l’Oncle Sam, une autre facette est ainsi venue s’ajouter à l’observance de Hanoucca aux Etats-Unis : celle d’une manifestation de patriotisme.
Une célébration de Hanoucca dans les années 1920 dans une synagogue de Thomasville illustre bien cet aspect. La ville de Géorgie comptait alors 350 juifs. Le journal local relate : « Les juifs de la ville se préparent pour la fête des Lumières appelée Hanoucca qui signifie “courage” (traduction erronée du journal). La synagogue était recouverte de l’inscription “L’histoire continue” aux couleurs nationales juives, le blanc et le bleu. La bannière étoilée flottait également. » Venait ensuite la description de la cérémonie : « Le premier chant interprété a été America. Le second, la Hatikva, puis Eli, Eli. Les notes de la Hatikva ont ensuite été reprises très doucement. Joseph Feinberg s’est avancé fièrement en portant le drapeau américain, suivi de Joseph Kolesky avec le drapeau bleu et blanc. Plus de 100 personnes ont assisté à l’événement qui s’est conclu par l’allumage du candélabre appelé hanoukia. »
Se trouvaient ainsi célébrés dans un même élan les Etats-Unis et le rêve de Sion. La Première Guerre mondiale était alors terminée, tandis que la déclaration Balfour avait encouragé la création d’un Etat juif en Palestine. Dans cette même ville en 1862, durant la guerre de Sécession, les commerçants les plus importants avaient voulu expulser trois commerçants juifs. Et voilà que 97 ans plus tard, à l’occasion de Hanoucca, les juifs faisaient démonstration d’un ardent patriotisme envers le pays où ils avaient vécu et où ils espéraient pouvoir bâtir.
Après 1920, alors que l’immigration a fortement ralenti, Hanoucca est officiellement devenu une occasion d’échanger des cadeaux. La marque Colgate s’est mise à promouvoir des produits de toilette à l’occasion de la fête juive ; la marque Aunt Jemina affirmait pour sa part que sa farine était la meilleure pour préparer les latkès, et les voitures Hudson ont commencé à introduire des mots yiddish dans leurs publicités : « Achetez-la pour transporter votre famille/Votre nouvelle voiture familiale – une véritable metzia (affaire). Dans une rare démonstration de consensus, les rabbins de toutes tendances se sont ainsi joints aux mères de famille et aux commerçants dans les années 1920 et 1930 afin de promouvoir la célébration de Hanoucca comme un puissant antidote à Noël », explique le Pr Jonathan Sarna. Le souvenir de la victoire des Maccabées a servi de substitut culturel viable à la fête chrétienne ; le juif américain moderne n’avait plus aucune raison de redouter le « cruel mois de décembre » dont il se sentait exclu.
Une fête populaire
Un autre facteur significatif à propos de Hanoucca aux Etats-Unis concernait la fabrication de hanoukiot. A moins qu’ils n’aient hérité de candélabres en argent, ceux que possédaient les juifs d’alors étaient en bois, en cuivre ou en bronze. Les hanoukiot en bois ont fait leur apparition juste après la Seconde Guerre mondiale lorsque le métal est venu à manquer. La plupart étaient d’un design minimaliste. Mais lors de l’importante vague d’immigration juive aux Etats-Unis, différentes organisations juives ainsi que de riches particuliers ont installé de petites fabriques destinées à la confection d’objets de culte juifs. Ce qui a également permis d’employer de nombreux juifs au chômage. L’un des produits phares de ces usines était la hanoukia en métal. Plusieurs de ces objets sont d’ailleurs encore utilisés.
Ma famille en possède une fabriquée à New York dans les années 1920 et utilisée par mes grands-parents. Lors de leur arrivée aux Etats-Unis en 1903, les seuls objets de culte que ceux-ci possédaient étaient un verre de kidouch pour chabbat et les fêtes, ainsi qu’un autre pour Pessah. Sur cette hanoukia qu’ils nous ont léguée, figurent des lions soutenant un chamach surélevé par rapport aux huit emplacements pour les bougies.
Le nombre de juifs qui se sont mis à observer cette fête relativement mineure du calendrier s’est encore considérablement accru dans les années 1950. A tel point qu’aujourd’hui, les juifs américains sont beaucoup plus nombreux à célébrer Hanoucca qu’à faire le seder de Pessah. L’apport du mouvement Habad a également été considérable, note le Pr Sarna.
« C’est lui qui a définitivement posé le symbole de la ménora comme réponse au sapin de Noël, en organisant des allumages publics, qui ont redonné à la communauté juive sa fierté. Cet état de fait est particulièrement marqué dans la ville de New York où l’on célèbre Noël et Hanoucca à parts pratiquement égales, les hanoukiot faisant largement concurrence aux sapins dans les espaces publics…
Dernier fait hautement significatif : Hanoucca est la seule célébration juive dont il est fait mention sur des timbres américains. Ceux-ci ont été édités par la poste des Etats-Unis pour la première fois en 1996, dans le cadre d’une série philatélique consacrée aux fêtes religieuses en général. A ce jour, 142 millions de ces timbres de Hanoucca ont été édités dans différentes versions. En 2004, c’est l’autre symbole de la fête des Lumières, la toupie, qui a fait son apparition sur ces timbres. 
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